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Le palimpseste ou la mémoire en couches : quand les arts plastiques arrachent le voile de l’oubli

Fresque contemporaine représentant une mer bleue au pied d’un mur fissuré aux teintes rouille et or, évoquant une ouverture symbolique sur un autre monde.

« Le monde est un palimpseste : chaque époque gratte ce qu’elle peut du passé pour écrire sa propre légende. »  Michel Serres, Le Tiers-Instruit

Il faut se figurer un manuscrit ancien, dont l’encre effacée par le temps, l’eau ou l’acide laisse apparaître, sous le texte visible, d’autres lettres, plus anciennes, parfois plus vraies. Le palimpseste, du grec palin (de nouveau) et psêstos (gratté), est d’abord une pratique : celle de réécrire sur un support déjà écrit, souvent par nécessité ou par économie. Mais dans cette relecture du monde en creux, se loge une esthétique, une mémoire, une vérité seconde. Loin d’être une simple métaphore, le palimpseste est un principe actif dans les arts plastiques contemporains, un concept plastique autant qu’une posture critique.

  1. Le palimpseste comme matière et méthode

En peinture, graver, recouvrir, décaper, superposer : autant de gestes qui font du temps une matière première. Le palimpseste n’est pas seulement une métaphore de la mémoire, il devient un procédé esthétique.

Chez Antoni Tàpies, les strates de matière, les coulures, les effacements témoignent d’un combat avec la surface. On gratte, on laisse des traces. Une croûte picturale se forme, presque archéologique. Tàpies n’orne pas la toile : il l’interroge, il l’use.

Plus récemment, les œuvres de Mark Bradford, artiste afro-américain, s’inscrivent dans cette dynamique du palimpseste urbain. Ses grandes toiles sont composées de papiers récupérés dans la rue, d’affiches arrachées, de fragments de vie urbaine. Il ponce, il superpose, il colle. Et dans cette multiplicité de couches, c’est l’histoire raciale, sociale, économique des quartiers qui affleure. Le tableau est un palimpseste des voix oubliées.

  1. Philosophie du recouvrement : ce que l’on veut cacher, ce qui revient

Le palimpseste pose une question essentielle : que veut-on effacer ? Et pourquoi ce qui a été gratté finit toujours par réapparaître ?

Le philosophe Walter Benjamin écrivait que « chaque époque rêve la suivante, mais se réveille dans l’horreur ». Ce que nous croyons effacé revient sous une autre forme. Ainsi, dans les arts plastiques, l’acte de superposer ou d’effacer n’est jamais neutre : il engage une éthique du regard. Faut-il faire table rase ? Ou laisser percer les anciennes écritures ?

Dans le champ de la photographie, le travail de Sally Mann ou de Vivan Sundaram s’approche de cette idée. Les clichés sont retravaillés, altérés, parfois souillés. L’image devient une énigme, un palimpseste visuel. On ne regarde plus un instantané mais un temps feuilleté, un espace hanté.

III. Le palimpseste comme critique sociale

Dans une société saturée d’images et de récits, l’artiste palimpseste ne crée pas, il révèle. Il déconstruit les strates d’idéologie, gratte les vernis de l’histoire officielle.

Prenons l’exemple de Kara Walker, dont les silhouettes noires sur fond blanc rejouent, à même le mur, les récits de l’esclavage américain. L’ombre portée sur les galeries d’art est une forme de palimpseste symbolique : sur le mur vierge de l’institution, elle inscrit les fantômes de la violence. Le support institutionnel (le musée, le mur blanc) est alors réécrit à la lumière d’un passé trop vite blanchi.

Ou encore les installations de Christian Boltanski, faites de photos anonymes, de vêtements usés, de documents jaunis : autant de couches de présence et d’absence. Ce sont des archives fictives, mais plus puissantes que les vraies. Ce sont des palimpsestes de mémoire collective.

  1. Vers une esthétique du non-fini

Le palimpseste, en refusant l’œuvre close, s’inscrit dans une esthétique de l’inachevé, du processus. L’œuvre n’est jamais totalement finie, elle est à relire. À revisiter. Elle vit dans ses résonances, dans ce qu’elle laisse deviner.

Le philosophe Paul Ricoeur, dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, parle de la mémoire empêchée : celle qu’on recouvre mais qui reste active, souterraine. L’artiste palimpseste travaille cette mémoire-là : celle qu’on tait mais qui ne meurt pas.

Conclusion : Ce que cache la surface

Le palimpseste est une esthétique du doute, de la résurgence, et surtout du respect. Il oblige à lire en profondeur, à décoder ce qui affleure sous les apparences. Dans un monde pressé d’oublier, il oppose une résistance lente : celle des strates, des sédiments de sens, de l’histoire incrustée dans la matière.

Les arts plastiques, en s’emparant du palimpseste, ne se contentent pas d’imiter la mémoire : ils la sculptent, la recousent, la prolongent. Ils montrent que l’essentiel est parfois ce que l’on croyait perdu. Et qu’à force de gratter, on retrouve — non pas la vérité, mais la possibilité d’un récit autre, fragile, mais tenace.

Références

  • Michel Serres, Le Tiers-Instruit, Le Pommier, 1991.
  • Paul Ricoeur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, 2000.
  • Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, 1940.
  • Expositions : Mark Bradford (Venice Biennale 2017), Christian Boltanski (Grand Palais 2010), Kara Walker (Tate Modern 2019).
  • Voir aussi : Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Minuit, 1992.
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Le cri et les arts plastiques

Figure spectrale hurlante aux bras tendus, émergeant d’un nuage rouge intense, sur fond sombre et tourmenté.
Quand le silence ne suffit plus, c’est le corps qui hurle.
  1. Le cri : rupture dans la parole

Le langage est une dentelle. Le cri, une déchirure.

Il arrive avant les mots, il reste après eux. Il naît là où le vocabulaire échoue. Le cri, c’est l’anti-langue. Ce que l’on ne dit pas, mais que l’on jette. À la naissance, nous entrons dans le monde en hurlant. Et souvent, nous en sortons sans un mot, mais pas sans douleur.

Les arts plastiques, longtemps liés au sacré, à la beauté, à l’ordre divin, ont résisté au cri. Ils ont préféré la mesure, l’équilibre, la symétrie. Mais l’homme, lui, tremble, sue, s’écorche. L’homme crie. Et la peinture, un jour, l’a suivi.

 

  1. Munch : la forme d’un hurlement

« Je sentis un cri infini qui passait à travers la nature. » — Edvard Munch

Il ne s’agit pas d’un personnage, ni d’un autoportrait. Le Cri de Munch (1893) est une silhouette sans sexe, sans nom, sans os. C’est une onde, une bouche fendue, un visage tordu par l’effroi. Les mains sont collées aux joues comme si l’être lui-même tentait de contenir son explosion interne.

Le ciel est sang. L’air devient matière. L’univers entier se plisse. C’est un cri dans le monde, un spasme pictural. Munch ne représente pas une émotion, il la fait hurler depuis la toile.

Ce tableau ne se regarde pas : il s’écoute sans oreilles.

 

III. Francis Bacon : la chair hurlée

Chez Bacon, le cri devient organique. Pas un cri dans la gorge, un cri dans la viande.

« La peinture, c’est l’acte d’ouvrir un corps sans scalpel. »

Ses personnages ne parlent pas, ils convulsent. Ils sont très humains, mais déjà défigurés par le choc d’exister. Le Portrait du Pape Innocent X (d’après Velázquez) devient une scène de supplice : le Pape est prisonnier d’une cage, bouche ouverte, figé dans une éternité d’angoisse muette. La peinture hurle à sa place.

Ici, le cri n’est plus un son, mais une texture. On le lit dans l’entaille, dans le coup de pinceau sauvage, dans la couleur qui bave comme une plaie mal refermée.

 

  1. Art brut : là où les voix s’effacent

Et si le cri ne passait plus par la bouche ? Et si, faute de pouvoir dire, on grattait, raturait, noircissait ?

L’art brut – porté par Jean Dubuffet, fasciné par les expressions des malades mentaux, des exclus, des enfants — donne au cri une autre matérialité. Ce n’est plus un cri d’alarme, c’est un cri d’existence, la preuve que l’on est là, malgré tout, même sans vocabulaire, même sans norme.

Les murs des asiles sont pleins de ces griffonnages obstinés, de cahiers, de cartons, d’objets récupérés, transformés en totems d’une douleur inentendue. Le cri brut n’est pas lyrique, il est répétitif, épileptique, entêté.

 

  1. La performance : crier avec le corps

Chez Marina Abramović, le cri devient action.

Dans “Freeing the Voice” (1975), elle hurle sans interruption pendant des heures, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la perte de soi.

Ici, plus de toile, plus de médium. Le cri devient l’œuvre. C’est le souffle qui devient sculpteur. Le temps devient la matière.

Dans la performance, le corps devient un outil, un haut-parleur vivant. L’artiste n’est plus représentée : elle se désintègre dans l’intensité du moment.

Il ne s’agit pas de symboliser une émotion. Il s’agit de la vivre devant nous, en direct, de la jeter sur le spectateur comme un projectile brûlant.

 

  1. Philosophie du cri : de l’irreprésentable à l’irrépressible

Le philosophe Georges Bataille voyait dans l’art une violence, un acte de transgression. Il écrivait :

« L’art est ce par quoi l’homme s’échappe de lui-même. »

Et rien n’est plus violent, plus abrupt, plus pur que le cri.

Michel Foucault, dans Histoire de la folie, montrait combien les cris des fous ont été relégués, étouffés, enfermés. Les arts plastiques, quand ils se font cri, réhabilitent ces voix-là. Ils les placent au centre. Ils les encadrent.

Et ce cadre, souvent, tient à peine.

 

VII. Cris contemporains : le pixel et la performance

Aujourd’hui encore, des artistes comme Jenny Holzer projettent des mots douloureux sur des murs, des corps, des façades. Le cri devient texte, lumière, intrusion. Banksy fait hurler les murs, JR fait crier des visages géants dans l’espace public. Même le numérique n’échappe pas au cri : des gifs convulsifs, des vidéos tremblantes, des filtres saturés — c’est la matière contemporaine du cri visuel.

Même dans le silence absolu des musées, les œuvres crient. Et ce cri ne vous demande pas d’écouter. Il vous demande de vous taire.

 

Conclusion : le cri est un art

Il ne s’enseigne pas.

Il ne se compose pas.

Il vous prend à la gorge.

Il est l’envers du beau, l’envers du calme, l’envers du poli.

Dans les arts plastiques, il surgit là où la figuration s’effondre, là où la peinture devient geste, là où la couleur déborde, là où le cadre craque. Il surgit quand la parole est impuissante, quand le discours ne suffit plus. Quand ce n’est plus le regard qui regarde, mais l’âme qui brûle.

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Le bruit des couleurs muettes : ou comment l’absence dit davantage que la présence

Galerie d’art minimaliste illuminée, figure humaine solitaire face à une œuvre abstraite rouge et un mur lumineux doré, évoquant le silence dans les arts plastiques

Il est des choses que l’on dit à voix haute, d’autres que l’on murmure, et d’autres encore qui exigent le silence, non pas comme un repli, mais comme une exigence d’espace, de vide, de possible.

Le silence, en arts plastiques, n’est pas le contraire du bruit. Il est le contraire du trop, du bavard, du didactique, du spectaculaire. Il est cette réserve qui précède la parole ou qui la refuse. Il est ce champ libre offert au regard.

  1. Le silence comme matière

Certains artistes ne le représentent pas : ils l’installent. Ainsi Mark Rothko, dans ses grandes toiles aux champs de couleur saturée, crée un espace silencieux, presque sacré. Pas de narration, pas de ligne, pas de figure, seulement un champ de présence muette, comme si l’on entrait dans une chapelle sans autel. L’œil s’y recueille. Le silence n’est plus absence, il devient atmosphère.

John Cage écrivait : « Le silence n’existe pas. Même dans une pièce insonorisée, on entend son propre corps. » Cela est vrai aussi devant certaines œuvres. On croit faire silence ; on découvre que ce sont les œuvres qui nous font taire !

À l’inverse, l’art contemporain souvent déborde, hurle, sature. Et c’est précisément dans ce tumulte que surgissent les artistes du silence : James Turrell et ses chambres de lumière, Agnes Martin et ses grilles apaisées, ou Giorgio Morandi et ses bouteilles toutes pareilles, toutes différentes. L’œuvre ne nous parle pas : elle nous écoute.

  1. Silence du geste, silence du sujet

Dans le travail du sculpteur, le silence est un acte. Chaque taille est une négation, un retranchement. Le sculpteur enlève pour révéler. Comme le dit Michel-Ange : « Je vois l’ange dans le marbre et je taille jusqu’à ce que je le libère. » Le silence est là, dans ce qui ne sera jamais dit, jamais montré.

En peinture, le silence est souvent celui du sujet. Les natures mortes, par exemple, portent bien leur nom. Elles ne crient pas, elles ne dansent pas, elles ne vivent pas : elles attendent. Elles posent leur mystère à plat. Elles sont là comme le sont les choses quand on a cessé de les nommer.

Et que dire des œuvres de Giacometti ? Ses silhouettes effilées, vacillantes, donnent moins à voir qu’à ressentir. Elles ont la fragilité de ce qui se tient debout malgré l’effacement. Leur mutisme est une forme de présence, d’obstination silencieuse.

III. Silence et société

Notre époque est bruyante, saturée de notifications, d’images, de flux. Dans ce contexte, le silence n’est plus seulement esthétique : il devient politique. Se taire, c’est refuser. Refuser l’explication immédiate, le commentaire permanent, la légende obligatoire. Se taire, c’est permettre à l’autre de penser.

Georges Steiner écrit dans Réelles présences que : « Toute compréhension authentique repose sur une écoute, et toute écoute digne repose sur un silence. » L’art plastique n’est pas un discours : c’est une rencontre, et toute rencontre commence par se taire.

C’est aussi ce que suggère Louise Bourgeois, dans ses œuvres murmurées à voix basse, dans ses sculptures-maisons, dans ses cellules aux portes entrouvertes. Elles ne disent rien. Elles laissent deviner. Ce silence-là est une forme de pudeur, ou de douleur, ou les deux.

  1. L’œuvre comme silence incarné

Il faut relire Maurice Blanchot pour comprendre ce lien entre silence et œuvre : « L’œuvre commence seulement quand tout a été dit, et que quelque chose, pourtant, insiste encore. » Le silence, ici, n’est pas un défaut d’expression. Il est l’expression poussée jusqu’à son extrême. Le silence n’est pas le néant : il est le reste.

Une toile blanche peut être muette ou tonitruante. Cela dépend de celui qui regarde, de sa capacité à supporter ce que l’image ne dit pas.

Il en va ainsi de certaines œuvres de Cy Twombly : des griffures, des absences, des fragments. Et pourtant, tout y est. L’amour. L’histoire. La mémoire. L’oubli.

Conclusion

En arts plastiques, le silence n’est pas à côté de l’œuvre, il est en elle. Il n’est pas ce qui manque, mais ce qui fait tenir. Le silence est cette zone indéterminée, cette suspension, qui permet au visible d’advenir autrement.

Il est peut-être, au fond, la seule chose qu’on ne peut trahir.

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Le bégaiement et les arts plastiques

Mains tendues vers une matière blanche vaporeuse évoquant la parole entravée, sur fond sombre.
Comment l’hésitation devient rythme, et le trouble, tremblement fécond.

La ligne qui trébuche

Dans l’atelier, la main tremble. Non par maladresse, mais par excès de tension. Le trait se double, se rature, se relance. Il hésite, se reprend, insistant sur le vide même qu’il tente de combler. Ainsi naît une forme bégayeuse, comme un langage qui peine à se dire mais qui, justement, dit cette peine. Le bégaiement devient alors plus qu’un défaut phonatoire : c’est une métaphore plastique, une esthétique de l’entrave, de la reprise, du tremblement. L’artiste s’y reconnaît. Il cherche la forme mais l’évite. Il la touche, s’en éloigne, y revient. C’est une poésie du décalage.

Bégayer, c’est donner à entendre un corps dans la langue

Le bégaiement, cliniquement, est un trouble de la fluidité verbale. Linguistiquement, il est une rupture du code. Philosophiquement, il pourrait être pensé comme un empêchement fertile. Gilles Deleuze, dans Critique et Clinique, affirmait : « Bégayer, ce n’est pas parler mal, c’est parler dans une autre langue ». Il en va de même pour l’art : ce n’est pas peindre mal que de répéter, de trembler, d’insister. C’est introduire une autre syntaxe du regard.

Le bégaiement fait entendre le corps. Chaque reprise est une manifestation de l’effort, de la volonté, de l’angoisse parfois. Dans l’espace plastique, c’est le geste qui parle : le pinceau qui retourne sur sa trace, la ligne qui s’émiette, la surface qui se répète en variation infinie.

Formes bégayantes, gestes itératifs

Les arts plastiques abondent de gestes répétés, de formes ressassées, de motifs itératifs qui ne sont ni obsessionnels ni maniéristes, mais bégayeurs. Cy Twombly en est un parangon : ses griffonnements à la craie, faussement enfantins, redisent sans cesse un alphabet fuyant, une écriture qui bute sur elle-même.

Louise Bourgeois, elle, reprend la forme ovale, maternelle, la cellule, le dôme. Ses sculptures balbutient une identité incertaine, un sexe flou, une mémoire qui répète plus qu’elle ne raconte. Le bégaiement visuel devient alors une façon d’habiter l’espace sans jamais le conquérir.

Même Jean Dubuffet, dans sa rage matiériste, semble bégayer plastiquement. Il gratte, il ajoute, il recouvre. La forme surgit de cette insistance confuse, de cette parole picturale qui cherche plus qu’elle n’affirme. Il déclare dans son Asphyxiante Culture : « L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ». Il vient bousculer, répéter, insister jusqu’à l’émergence.

Refus du fini, esthétique de l’intranquillité

Le bégaiement, dans la parole, empêche la clausule. Il suspend le sens, le retient. Dans l’art, il en va de même. Une œuvre bégayeuse est une œuvre sans fin, une œuvre inquiète. Elle renonce à la perfection pour explorer l’insistance.

Le philosophe Emmanuel Levinas décrit dans Totalité et Infini la relation à l’autre comme une « mise en question incessante de soi par autrui ». Le bégaiement pourrait être cet autre en soi, cette voix qui remet en question le dire. Il est la faille dans le beau discours, et cette faille, dans l’art, devient gisement.

L’art bégaye donc, pense-t-il ?

Et si toute forme créative était, au fond, une manière de bégayer le monde ? De dire encore, de redire autrement, d’hésiter à clore ? On accuse parfois les artistes de radoter, de se paraphraser, de se caricaturer même. Mais peut-être est-ce là leur plus belle genèse : répéter l’inépuisable, étirer le presque-dit, bégayer à force d’éblouissement.

Et là, soudain, la main se pose. Le trait s’interrompt. On croit qu’il va repartir. Il ne repart pas. Il tremble, il insiste. C’est là que commence l’art.