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Le rêve lucide et les arts plastiques

Un homme solitaire, debout au bord d’une falaise rocheuse, contemple un château gothique surgissant d’une mer de nuages embrasés par la lumière du couchant, créant une atmosphère onirique et majestueuse.

Il est des songes où l’esprit, loin de s’abandonner aux caprices du sommeil, s’érige en souverain vigilant. Ces songes-là portent le nom de rêves lucides, contrées nocturnes où la conscience, loin d’être exilée, règne en maîtresse sur l’imaginaire. L’homme s’y découvre simultanément spectateur et metteur en scène, arpentant un théâtre intérieur dont il module à l’envi les décors, les lumières et les visages.

Or, que sont les arts plastiques sinon l’écho diurne de cette souveraineté nocturne ? Le peintre, le sculpteur, le plasticien façonnent, avec leurs pigments, leurs volumes ou leurs matières, ce que l’esprit lucide façonne dans l’ombre des songes. La toile devient un voile translucide où s’ourdissent des paysages oniriques, où se déposent des architectures insoumises aux lois de la gravité, où chaque couleur s’émancipe de la simple imitation pour devenir vibration, ferveur, clairvoyance incarnée.

Dans le rêve lucide, l’œil intérieur s’aventure sans balise : il franchit des portiques invisibles, se joue des symétries et construit des édifices d’éther et de mémoire. De même, l’artiste plasticien, lorsqu’il s’affranchit des canons et des contraintes, invente des mondes qui, bien que fixés sur la toile ou le marbre, semblent palpiter d’une vie clandestine. La main ne se contente plus de tracer : elle convoque, elle exhorte, elle féconde.

Il appert alors que le rêve lucide n’est point une fuite, mais un atelier secret ; une fabrique de visions où l’impossible prend résidence. L’art plastique, par son audace et sa puissance d’évocation, offre à ces visions un corps, une texture, une lumière. Le regardeur, s’il s’y abandonne, se découvre à son tour rêveur lucide, voyageur éveillé dans l’univers que l’artiste a conçu pour lui.

Ainsi donc, entre le sommeil gouverné et l’œuvre plastique, se tisse une connivence sibylline : l’une prête ses images à l’autre, l’autre donne chair et éclat aux images de l’une. Et dans cette circulation mystérieuse, l’art s’élève, non plus seulement comme ornement ou témoignage, mais tel un rêve éveillé qui n’aurait pas consenti à s’effacer.

Car en vérité, rêver lucidement ou créer plastiquement n’est jamais qu’une même audace : prêter au réel l’éclat de l’impossible.