
L’inconscient, ce continent de l’ombre
Parler d’inconscient, c’est déjà convoquer un lexique qui se rattache aux psychanalyses, au pluriel : celles de Freud, de Jung, de Lacan, mais aussi toutes les approches plus récentes qui voient en nous un sujet traversé de forces, de symboles et de mémoires obscures. Dans les arts plastiques, l’inconscient agit comme une matière première invisible, un limon qui sédimente au fond de l’âme et qui, par le geste créateur, affleure à la surface. L’artiste ne gouverne pas seul son œuvre : il est traversé par ce qu’il ignore de lui-même.
On le constate dans La persistance de la mémoire de Salvador Dalí (1931), où les célèbres montres molles semblent s’écouler hors du temps rationnel. Cette vision onirique, surgie de l’inconscient, est devenue une icône universelle : un rêve peint qui appartient désormais à la mémoire collective.
Le hasard et la sérendipité comme visages de l’inconscient
L’inconscient ne se convoque pas, il surgit. Les arts plastiques offrent à ce surgissement des lieux d’accueil. Une coulure, une fissure, une déchirure accidentelle deviennent autant d’occasions de révélation. C’est ici que la sérendipité prend sens : trouver ce que l’on ne cherchait pas, rencontrer dans l’œuvre un fragment de soi qui ne s’était jamais formulé.
Le peintre américain Jackson Pollock en fit un principe dans N°5, 1948. Sa technique du dripping – peindre en laissant couler la peinture sur la toile – transforme le hasard en complice. Chaque éclaboussure, chaque coulure est une émergence de l’inconscient gestuel.
De même, dans Composition VII de Vassily Kandinsky (1913), l’abstraction s’appuie sur des associations imprévues de formes et de couleurs. Ce tumulte visuel, loin d’être un désordre gratuit, reflète une sérendipité organisée : l’inconscient s’y exprime par collision et résonance chromatique.
Mon histoire et mon âme comme réservoirs d’images
Pourquoi je pense ce que je pense ? Peut-être parce que mon histoire m’a façonné, que mes souvenirs, mes blessures, mes joies passées nourrissent en silence mes représentations. Mon inconscient n’est pas une boîte étrangère : il est mon âme dans sa part la plus inavouée.
L’art rend visible ce qui me traverse. Ainsi, Carnaval d’Arlequin de Joan Miró (1924–25), peinture née de ses rêves fiévreux, donne à voir un bestiaire étrange, à mi-chemin entre mémoire enfantine et hallucination. L’inconscient personnel de Miró y devient une imagerie plastique proliférante.
Dans un registre bien plus frontal, L’Origine du monde de Gustave Courbet (1866), illustre comment une représentation intime peut provoquer un trouble inconscient chez le spectateur. La frontalité du corps féminin force chacun à confronter son propre rapport au désir, à la pudeur, à l’inavoué.
Être « aware » : l’ironie lumineuse de Van Damme
Jean-Claude Van Damme, dans une formule devenue proverbiale, affirmait : « Il faut être aware. » Derrière le sourire que suscite cette déclaration, se cache une intuition féconde : être « aware », c’est accueillir ce qui se trame en nous au-delà de la conscience claire.
Cette posture est manifeste dans Fountain de Marcel Duchamp (1917). Cet urinoir renversé, signé « R. Mutt », oblige à être « aware » pour en saisir la portée : voir dans un objet banal une potentialité artistique. Ici, c’est moins l’objet que le regard qui compte. Duchamp prouve que l’inconscient culturel et symbolique sommeille jusque dans les choses les plus triviales.
L’inconscient comme partenaire, non comme obstacle
Les arts plastiques révèlent que l’inconscient n’est pas un adversaire mais un partenaire silencieux. Il injecte dans l’œuvre ce supplément de mystère qui empêche toute création d’être une mécanique sèche. L’artiste avance avec un allié caché, une force obscure qui se traduit en formes, en couleurs, en matières.
On le voit de façon poignante dans Guernica de Pablo Picasso (1937), Ce tableau monumental exprime la douleur collective de la guerre, mais aussi les résonances inconscientes du traumatisme. L’individuel et le collectif s’y entremêlent, preuve que l’inconscient n’appartient jamais exclusivement à soi : il circule, se partage, se transmet.
Être « aware », finalement, c’est savoir que ce qui nous échappe est peut-être ce qui nous fonde le plus profondément.