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L’éloge du simulacre : plagiat, appropriation et arts plastiques

Composition abstraite rouge évoquant Georges Mathieu, avec des traits noirs, blancs et colorés jaillissant au centre d’un fond rouge intense.

« Rouge approximatif à la manière de Mathieu » – Pierre Tomy (2021)
Ce travail s’inscrit dans une série explorant la tension entre citation, transformation et fidélité.
Il ne s’agit pas de copier Georges Mathieu, mais de l’écouter et de répondre, avec sa propre voix graphique.

« L’appropriation, ce n’est pas du plagiat, du pillage, de l’imposture ni de la contrefaçon ; c’est simplement une citation, de la reconnaissance, de l’investigation, un voyage et, surtout, de l’amour. »  – Pierre Tomy (2021)

  1. Le plagiat, ce faux jumeau de la reconnaissance

Il est des termes qui giflent plus fort que des sentences. « Plagiat » appartient à cette famille de mots lourds de suspicion, de honte ou de procès. Il désigne une escroquerie à la pensée, une captation frauduleuse du génie d’autrui, un délit d’usurpation esthétique. Mais dans le royaume poreux des arts plastiques, cette notion s’efface souvent dans la brume d’un geste plus ancien, plus profond, plus ambigu : celui de l’appropriation.

Depuis les fresques antiques jusqu’aux académies du XIXe siècle, le jeune artiste apprenait en recopiant. Copier n’était pas voler, mais honorer. L’atelier d’apprentissage, ce sanctuaire de transmission muette, fonctionnait selon une éthique de l’imprégnation. Refaire n’était pas reproduire, mais comprendre en refaisant.

Comme l’écrivait Nelson Goodman : « Reconnaître une œuvre d’art, c’est la refaire en esprit. » Alors pourquoi, lorsqu’elle est refaite en matière, la copie susciterait-elle davantage le soupçon que l’admiration ?

  1. Simulacres fertiles : de Duchamp à Levine

L’histoire moderne de l’art regorge d’artistes ayant joué avec l’ombre portée du plagiat. Duchamp, bien sûr, en est l’exemple inaugural. En apposant une moustache sur la Joconde, il ne lui manque pas de respect : il l’extirpe de son sanctuaire muséal pour la relancer dans le jeu du regard contemporain. Ce n’est plus une madone intouchable : c’est une énigme à rejouer, une figure à recharger.

Salvador Dalí, quant à lui, voit dans L’Angélus de Millet non pas une scène pieuse, mais une scène funèbre. Il projette sur l’original sa propre névrose, y injecte ses obsessions, transforme la prière en deuil. Ce que l’un appelait chef-d’œuvre, l’autre le nomme énigme. Le simulacre devient interprétation incarnée.

Plus tard, Sherrie Levine photographiera les photographies de Walker Evans. Son geste, frontal, s’accompagne d’un titre limpide : After Walker Evans. Le plagiat s’y fait manifeste. Elle interroge la fable de l’originalité, la notion même d’auteur : et si tout n’était que déjà-vu, redit, rejoué ? L’artiste devient alors un passeur de formes, un médium plus qu’un démiurge.

III. La copie comme acte d’amour plastique

Un texte personnel, écrit antérieurement, éclaire cette frontière trouble. « L’appropriation,  c’est s’introduire au plus profond de l’œuvre pour y déposer sa sève, son êtreté, son ipséité, son âme, créant une inhabituelle apparence, un simulacre, une nouvelle empreinte graphique. » – Pierre Tomy (2021)

C’est là, précisément, que se joue la différence entre le vol et l’hommage. Il ne s’agit pas de dissimuler l’origine pour en usurper la paternité, mais de pénétrer dans l’œuvre comme dans un mausolée intérieur, d’y déposer un peu de soi, une part modeste mais vibrante, une variation sincère.

Devant un tableau de maître, l’élan n’est pas celui d’un faussaire, mais d’un fervent. Il est arrivé qu’un artiste contemporain imagine, en silence, se trouver derrière le peintre d’origine, observant la gestuelle entre la palette et la toile. De cette contemplation naît le désir de reproduire — non à l’identique, mais à travers une écriture propre : formes polygonales, aplats juxtaposés, suppression volontaire des courbes, éloge de l’approximation.

Un cérémonial intérieur s’installe. À l’issue du processus, l’artiste confronte le « remake » à l’original. S’il s’en sent digne, il adresse au maître un remerciement muet, presque une prière. L’œuvre copiée devient le témoin d’un passage d’âme à âme. Elle n’est plus l’objet d’un plagiat, mais le fruit d’un lien : une filiation poétique.

 

  1. Une éthique du détournement

À l’heure des images démultipliées, des filtres génératifs et des reproductions sans fin, l’appropriation gagne en ambiguïté. Jeff Koons l’a expérimenté : certaines de ses œuvres furent condamnées pour contrefaçon. Pourtant, son intention était moins de dissimuler que d’exagérer, moins de copier que d’exhiber. La copie y devient symptôme, reflet d’un monde déjà saturé.

Le plagiat est un mensonge. L’appropriation, lorsqu’elle est assumée, théorisée, reconfigurée, devient une manière d’inscrire son souffle dans celui d’un autre, un art du relais.

Il y aurait donc lieu d’établir une distinction ontologique entre ces deux gestes. Le plagiaire cherche l’anonymat du vol ; l’appropriatiste, lui, travaille à faire coexister les mémoires, les voix, les écritures.

 

  1. Conclusion : faire œuvre avec et non contre

Dans cette zone grise entre citation et contrefaçon, une posture artistique s’esquisse : celle d’un artisan de la mémoire, d’un plasticien du déjà-vu transfiguré. Il ne s’agit plus d’opposer l’original à sa copie, mais de concevoir la copie comme un terrain de transmutation.

Loin du plagiat, l’appropriation artistique devient un chant en canon avec les siècles, une manière d’être là, dans l’ombre portée d’un autre, pour y inscrire une lumière neuve.

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