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Ponctuer l’espace : la ponctuation comme matrice plastique

Installation artistique contemporaine évoquant la ponctuation dans une galerie, avec des cubes suspendus marqués de points noirs, inspirée du lien entre grammaire et arts plastiques.

Préambule : Quand le langage hésite, le trait s’élance

Il est des points qui s’écrivent à l’encre, et d’autres qui se dessinent à l’huile ou au fusain. La ponctuation, souvent reléguée au rang d’ornement grammatical, opère en vérité comme une scansion du sens, une respiration de la pensée. De la même manière, l’œuvre plastique, en saccadant son propre déploiement, ponctue l’espace visuel, organise le regard, suspend, relance, clive.

À défaut d’en trouver la formule exacte sous sa plume, on peut néanmoins avancer — en écho à La Dissémination (Seuil, 1972) — que Jacques Derrida aurait pu écrire que « la ponctuation est une articulation du temps dans l’écriture ». Il s’agit là d’une reformulation synthétique, non d’une citation textuelle, mais qui semble consonner avec l’architecture de sa pensée.

Peut-on, dès lors, penser que la peinture, la sculpture, l’installation aussi, ponctuent l’espace comme un texte, en inventant leurs propres virgules, leurs propres points de suspension, leurs cris et leurs silences ?

Virgules plastiques et soupirs visuels

La virgule est le souffle du texte. Elle sépare sans briser, ralentit sans clore. Dans les arts plastiques, certaines œuvres fonctionnent comme des virgules spatiales, proposant des pauses dans l’intensité visuelle.

Prenons Donald Judd, pionnier du minimalisme : ses modules géométriques répétés, espacés régulièrement sur les murs blancs, s’apparentent à une suite de virgules suspendues, ni fin, ni début, mais un glissement continu de perception.

Autre exemple : Agnes Martin, dont les toiles semblent être de pures respirations linéaires, calmes, ponctuées comme une partition silencieuse. Elle disait :

« Les lignes sont des pauses dans la peinture, pas des limites. »
(Agnes Martin: Writings, 2005, Hatje Cantz Verlag).

L’exclamation dans la matière

Le point d’exclamation, signe de rupture et d’affirmation, s’incarne dans les œuvres qui interrompent la logique visuelle par un surgissement, une déclaration. Il ne décrit pas, il proclame.

Pensons à Yves Klein et son Anthropométrie de l’époque bleue (1960), où le corps devient pinceau. L’impact du corps sur la toile est un cri visuel, une exclamation existentielle.

Dans le domaine sculptural, l’œuvre Tumbling Woman (1981) de Eric Fischl, résonne comme un cri suspendu, un point d’exclamation figé dans la douleur. Elle s’impose brutalement dans le champ visuel comme un signifiant sculpté du choc.

Les points de suspension : l’art de l’inachevé

Trois petits points suffisent à dire l’indicible. Dans les arts plastiques, ces “…” deviennent fragments, effacements, vides organisés. C’est le territoire de l’inachevé volontaire, du non-dit plastique.

On pense immédiatement à Cy Twombly, dont les traces hésitantes, griffonnées, parfois illisibles, semblent dire : je continue ailleurs. Son œuvre est ponctuée de gestes suspendus.

Le philosophe Giorgio Agamben écrit :

« Le non-achevé n’est pas le manque : c’est la modalité propre du devenir. »
Le feu et le récit, 2014, Éditions Payot & Rivages.

Dans cette perspective, l’artiste qui laisse un vide ou une interruption sculpte, littéralement, un point de suspension.

Le point final : la clôture comme transgression

Le point final est peut-être l’ennemi du vivant. Il arrête le texte, impose une fin. Peu d’œuvres plastiques l’acceptent. La clôture est souvent évitée, comme une faute de goût ou une trahison du mouvement.

Cependant, certains artistes osent le point. Roman Opalka, par exemple, termine ses toiles numérotées là où sa journée s’arrête, créant un point final quotidien, la trace d’un temps qu’on égrène jusqu’à l’épuisement. Un point d’humour technoïde : Opalkapaletan.

Et On Kawara, avec ses Date Paintings, note une seule chose : la date du jour, peinte avec rigueur. Une œuvre par jour. Point. Un art de la ponctuation absolue, réduit à sa plus simple expression.

La parenthèse, le tiret et l’incise : syntaxes détournées

Certaines installations fonctionnent comme des parenthèses dans le flux de l’espace muséal. D’autres œuvres, comme les cadres vides de Christian Boltanski, créent des incises visuelles, une manière de dire « ce qui aurait pu être là ».

Et que dire des tirets de Lucio Fontana, ces entailles dans la toile (Concetto spaziale), qui évoquent un silence tranché, une césure imposée au langage pictural.

Une société qui ne ponctue plus ?

La disparition de la ponctuation dans le langage numérique n’est pas sans écho dans l’art contemporain. Banksy, par exemple, tague l’espace urbain sans permission ni syntaxe, en court-circuitant la grammaire visuelle du réel.

La philosophe Barbara Cassin rappelle que :

« Le logos est une arme de précision, mais c’est aussi une manière de parler dans le désordre du monde. »
L’effet sophistique, 1995, Éditions Gallimard.

Conclusion : L’artiste est un grammairien de l’espace

Tout comme l’écrivain, l’artiste scande, fragmente, relie. Il ponctue l’espace, comme l’auteur ponctue la page. Il crée du rythme, du souffle, de l’interruption.

À nous de savoir lire ces virgules visuelles, ces suspensions de silence, ces exclamations muettes.
À nous de reconnaître que l’œuvre d’art n’est pas un bloc, mais une syntaxe. Non un cri brut, mais une phrase ponctuée avec soin.

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Toucher l’invisible : le braille dans les arts plastiques

Main humaine explorant une œuvre textile en relief inspirée du braille, éclairée par une lumière douce.

Émergence d’un langage tactile

L’écriture braille, inventée au XIXe siècle par Louis Braille, n’est pas un simple système de lecture pour les aveugles : c’est un langage du relief, une graphie incarnée, une manière de donner forme au sens par le toucher. Le monde y devient palpable dans sa signifiance. Là où la vue plane et saisit d’un coup d’œil, le doigt chemine, devine, éprouve. Dans un monde saturé d’images, l’idée même de créer pour celui qui ne voit pas, mais qui lit avec la peau, semble un acte de résistance poétique et politique.

Quand les œuvres s’adressent à la main

Certains artistes ont tenté de désenclaver l’expérience esthétique du tout-visuel. L’artiste brésilienne Lygia Clark, dès les années 1960, invite à manipuler ses œuvres. Pour elle, l’art n’est pas ce qui se montre, mais ce qui se vit. De même, dans sa série des « Bichos », les sculptures sont conçues pour être déplacées, reconfigurées, touchées. Ce n’est pas encore du braille, mais déjà une éthique du tactile.

Autre exemple : Ann Veronica Janssens, en explorant les effets de lumière, de vapeur ou de vide, désoriente volontairement le regard. Son œuvre devient presque aveugle, sollicitant le corps tout entier. C’est une manière de dire que l’art n’est pas seulement ce que l’on voit, mais ce que l’on ressent, ce que l’on frôle.

Et puis il y a ceux qui vont plus loin : qui intègrent le braille dans l’œuvre même. L’artiste française Annette Messager, dans certaines installations, introduit des textes en braille sur des supports textiles. Le mot devient matière, le sens devient à lire du bout des doigts. L’œuvre ne se regarde plus seulement, elle s’effleure, se devine, comme un secret confié à la pulpe d’un index.

Le braille comme résistance symbolique

Dans un monde construit pour et par les voyants, le braille est un geste de subversion discrète. C’est l’irruption d’une autre manière d’être au monde, qui refuse l’hégémonie de l’œil.

« L’aveugle ne voit pas, mais il touche – et en touchant, il pense. » Cette formule est inspirée des idées de Denis Diderot, notamment dans « Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749) ».

Cette pensée par le toucher est peut-être l’une des voies les plus profondes de l’art contemporain, car toucher, c’est s’approcher sans posséder, c’est respecter la distance tout en la franchissant. Le braille, dans cette perspective, est une éthique de la proximité, une langue du respect charnel de l’autre.

Dans La société du spectacle, Guy Debord dénonçait déjà un monde où « tout ce qui était vécu directement s’est éloigné dans une représentation ». Le braille, dans l’art, réinvente ce vécu direct, redonne chair au langage. Il y a là une utopie tactile, un espoir de réconciliation du corps et du sens.

Éducation, inclusion et création

Inclure le braille dans la création plastique, ce n’est pas seulement répondre à une exigence d’accessibilité. C’est reconnaître que d’autres formes de sensibilité existent, d’autres chemins de la beauté. Des institutions comme le Musée du Quai Branly, le Musée Fabre ou le Louvre ont développé des dispositifs tactiles pour personnes déficientes visuelles. Ils ne sont pas seulement utilitaires, mais participent d’un changement de paradigme esthétique : l’art peut aussi être une expérience tactile partagée.

L’artiste britannique Andrew Kulman, par exemple, conçoit des illustrations accessibles en relief, pour des livres jeunesse, où l’image et le texte en braille dialoguent. À travers cela, il ne s’agit pas d’adapter l’art à une « déficience », mais de reconnaître la pluralité des formes de lecture du monde.

Conclusion : une esthétique de l’invisible

Le braille, en tant qu’écriture du toucher, porte en lui une esthétique silencieuse et souterraine, un art du monde perçu sans être vu. Il ouvre une voie vers un « art non-rétinien », pour reprendre les mots de Marcel Duchamp.

Mais surtout, il nous rappelle ceci : que la beauté n’est pas dans les choses, mais dans les relations qu’elles suscitent. Que l’art, avant d’être spectacle, est expérience vécue, parfois lente, fragile, tâtonnante. Le braille nous apprend que comprendre, c’est aussi passer par l’obscurité, que l’invisible peut être porteur de sens, et que le toucher peut révéler ce que le regard oublie.

#ArtContemporain #Braille #InclusionCulturelle #DesignSensoriel #Toucher #ArtEtHandicap #Tactilité #PerceptionSensorielle

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Ce que murmure l’image : petite apologie du sous-titre dans les arts plastiques

Personne contemplant une installation artistique immersive dans une salle baignée de lumière, avec des murs couverts d’écriture manuscrite et un sol jonché de papiers.

Le sous-titre n’élève pas la voix. Il glisse en marge, à demi-mot, là où le visible hésite, où le regard demande à être guidé sans être enfermé. Il est cette note en bas de l’image, ni bavarde, ni muette, qui consent à n’être qu’un souffle. Non pas pour éclairer, mais pour pencher l’œil, comme on penche l’oreille vers un murmure que l’on pressent décisif.

Dans les arts plastiques, ce souffle devient presque une nécessité. Le cartel, le titre, le sous-titre : triptyque discret qui balise l’expérience sans la réduire. Le titre affirme. Le sous-titre, lui, interroge. Il ne complète pas, il crée une oscillation. L’image renvoie au texte, le texte renvoie à l’image, dans un va-et-vient d’intensité. Le regard devient lecture, et la lecture appelle à revoir. La perception se courbe, se plisse, se relance.

Ce double mouvement — voir puis lire, lire puis revoir — n’est pas linéaire. Il est herméneutique, au sens où Hans-Georg Gadamer l’entendait : comprendre, c’est toujours interpréter, et interpréter, c’est toujours revenir. Le sous-titre n’est pas un supplément ; il est une relance. Il trouble l’évidence, non pour l’annuler, mais pour l’enrichir d’un hors-champ mental. Il dit à l’image : « tu ne seras pas toute, ni entière. Tu as besoin d’un tremblement pour faire sens ».

Chez Christian Boltanski, la photographie floue n’existe pleinement que parce qu’un sous-titre l’y pousse. Sans la légende, Inventaire des objets ayant appartenu à un enfant juif, l’image glisserait, impersonnelle. Le sous-titre ne précise pas ; il tranche dans le silence. Il n’explique pas l’œuvre, il la blesse juste assez pour qu’elle saigne.

L’image, sans le sous-titre, risque de s’installer dans la complaisance de sa propre beauté, dans l’éloquence plastique de ses formes. Le sous-titre vient briser le miroir. Ou mieux : il en devient le second tain. Une surface posée contre l’autre. Ainsi, chaque œuvre n’est plus seulement ce que l’on voit, mais ce que l’on lit en regardant. Une pensée visuelle doublée d’un clignement intérieur.

Cette dialectique de l’image et du texte n’est pas neuve. Platon, déjà, se méfiait des images parce qu’elles éloignaient de l’idée et du logos. Mais ici, le sous-titre rapproche. Il agit comme une médiation fragile entre l’apparence et la pensée. Il est le pont étroit, presque invisible, entre le regard et le concept. Il fait de l’image une énigme, et du spectateur un lecteur d’oracle.

Maurice Merleau-Ponty affirmait que toute perception est déjà une interprétation. Le sous-titre n’en est que la manifestation littérale. Il inscrit, dans la chair du visible, une ligne d’écriture, une trace de parole. L’image se donne, mais ne s’explique que dans le reflet d’un mot. À condition que ce mot ne soit pas une cage, mais un écho. L’art, disait Georges Didi-Huberman, ce n’est pas « représenter », mais « faire apparaître ». Le sous-titre ne dit pas ce que l’on voit : il fait apparaître ce que l’on ne regardait pas encore.

Dans les œuvres de Sophie Calle, les mots sont présents, mais à la manière d’un sillage. Ils ne soutiennent pas l’image, ils la déstabilisent. Ils créent une tension entre la vue et lue. L’un dit l’absence, l’autre la met en scène. Et dans cet entre-deux, le spectateur est mis au travail. Il n’est plus simple regardeur, mais tisseur de sens.

C’est peut-être cela, au fond, la mission secrète du sous-titre : ne pas accompagner, mais déséquilibrer juste assez pour que naisse une pensée. Une image sans sous-titre peut devenir pure surface. Un sous-titre sans image n’est qu’un aphorisme. Mais lorsque l’un s’accroche à l’autre — non comme une béquille mais comme une énigme — alors l’art prend profondeur. Il devient un volume de sens, ouvert, complexe, jamais refermé.

Et dans un monde saturé d’images qui s’épuisent dans leur seule immédiateté, le sous-titre rétablit une respiration. Il décélère, il retient, il introduit le trouble dans le flux. Il murmure à l’image qu’elle a encore quelque chose à dire ou à taire.

#SophieCalle # Christian Boltanski #ArtComptemporain #Sous-titre

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L’éloge du simulacre : plagiat, appropriation et arts plastiques

Composition abstraite rouge évoquant Georges Mathieu, avec des traits noirs, blancs et colorés jaillissant au centre d’un fond rouge intense.

« Rouge approximatif à la manière de Mathieu » – Pierre Tomy (2021)
Ce travail s’inscrit dans une série explorant la tension entre citation, transformation et fidélité.
Il ne s’agit pas de copier Georges Mathieu, mais de l’écouter et de répondre, avec sa propre voix graphique.

« L’appropriation, ce n’est pas du plagiat, du pillage, de l’imposture ni de la contrefaçon ; c’est simplement une citation, de la reconnaissance, de l’investigation, un voyage et, surtout, de l’amour. »  – Pierre Tomy (2021)

  1. Le plagiat, ce faux jumeau de la reconnaissance

Il est des termes qui giflent plus fort que des sentences. « Plagiat » appartient à cette famille de mots lourds de suspicion, de honte ou de procès. Il désigne une escroquerie à la pensée, une captation frauduleuse du génie d’autrui, un délit d’usurpation esthétique. Mais dans le royaume poreux des arts plastiques, cette notion s’efface souvent dans la brume d’un geste plus ancien, plus profond, plus ambigu : celui de l’appropriation.

Depuis les fresques antiques jusqu’aux académies du XIXe siècle, le jeune artiste apprenait en recopiant. Copier n’était pas voler, mais honorer. L’atelier d’apprentissage, ce sanctuaire de transmission muette, fonctionnait selon une éthique de l’imprégnation. Refaire n’était pas reproduire, mais comprendre en refaisant.

Comme l’écrivait Nelson Goodman : « Reconnaître une œuvre d’art, c’est la refaire en esprit. » Alors pourquoi, lorsqu’elle est refaite en matière, la copie susciterait-elle davantage le soupçon que l’admiration ?

  1. Simulacres fertiles : de Duchamp à Levine

L’histoire moderne de l’art regorge d’artistes ayant joué avec l’ombre portée du plagiat. Duchamp, bien sûr, en est l’exemple inaugural. En apposant une moustache sur la Joconde, il ne lui manque pas de respect : il l’extirpe de son sanctuaire muséal pour la relancer dans le jeu du regard contemporain. Ce n’est plus une madone intouchable : c’est une énigme à rejouer, une figure à recharger.

Salvador Dalí, quant à lui, voit dans L’Angélus de Millet non pas une scène pieuse, mais une scène funèbre. Il projette sur l’original sa propre névrose, y injecte ses obsessions, transforme la prière en deuil. Ce que l’un appelait chef-d’œuvre, l’autre le nomme énigme. Le simulacre devient interprétation incarnée.

Plus tard, Sherrie Levine photographiera les photographies de Walker Evans. Son geste, frontal, s’accompagne d’un titre limpide : After Walker Evans. Le plagiat s’y fait manifeste. Elle interroge la fable de l’originalité, la notion même d’auteur : et si tout n’était que déjà-vu, redit, rejoué ? L’artiste devient alors un passeur de formes, un médium plus qu’un démiurge.

III. La copie comme acte d’amour plastique

Un texte personnel, écrit antérieurement, éclaire cette frontière trouble. « L’appropriation,  c’est s’introduire au plus profond de l’œuvre pour y déposer sa sève, son êtreté, son ipséité, son âme, créant une inhabituelle apparence, un simulacre, une nouvelle empreinte graphique. » – Pierre Tomy (2021)

C’est là, précisément, que se joue la différence entre le vol et l’hommage. Il ne s’agit pas de dissimuler l’origine pour en usurper la paternité, mais de pénétrer dans l’œuvre comme dans un mausolée intérieur, d’y déposer un peu de soi, une part modeste mais vibrante, une variation sincère.

Devant un tableau de maître, l’élan n’est pas celui d’un faussaire, mais d’un fervent. Il est arrivé qu’un artiste contemporain imagine, en silence, se trouver derrière le peintre d’origine, observant la gestuelle entre la palette et la toile. De cette contemplation naît le désir de reproduire — non à l’identique, mais à travers une écriture propre : formes polygonales, aplats juxtaposés, suppression volontaire des courbes, éloge de l’approximation.

Un cérémonial intérieur s’installe. À l’issue du processus, l’artiste confronte le « remake » à l’original. S’il s’en sent digne, il adresse au maître un remerciement muet, presque une prière. L’œuvre copiée devient le témoin d’un passage d’âme à âme. Elle n’est plus l’objet d’un plagiat, mais le fruit d’un lien : une filiation poétique.

 

  1. Une éthique du détournement

À l’heure des images démultipliées, des filtres génératifs et des reproductions sans fin, l’appropriation gagne en ambiguïté. Jeff Koons l’a expérimenté : certaines de ses œuvres furent condamnées pour contrefaçon. Pourtant, son intention était moins de dissimuler que d’exagérer, moins de copier que d’exhiber. La copie y devient symptôme, reflet d’un monde déjà saturé.

Le plagiat est un mensonge. L’appropriation, lorsqu’elle est assumée, théorisée, reconfigurée, devient une manière d’inscrire son souffle dans celui d’un autre, un art du relais.

Il y aurait donc lieu d’établir une distinction ontologique entre ces deux gestes. Le plagiaire cherche l’anonymat du vol ; l’appropriatiste, lui, travaille à faire coexister les mémoires, les voix, les écritures.

 

  1. Conclusion : faire œuvre avec et non contre

Dans cette zone grise entre citation et contrefaçon, une posture artistique s’esquisse : celle d’un artisan de la mémoire, d’un plasticien du déjà-vu transfiguré. Il ne s’agit plus d’opposer l’original à sa copie, mais de concevoir la copie comme un terrain de transmutation.

Loin du plagiat, l’appropriation artistique devient un chant en canon avec les siècles, une manière d’être là, dans l’ombre portée d’un autre, pour y inscrire une lumière neuve.

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Voir exposition (91 toiles) : Appropriation et remake