Comma

Entre deux images – l’une nommée « A », l’autre « B » – naît ce que Pierre Tomy Le Boucher appelle un Comma. Non pas une simple transition, mais une image intermédiaire, un territoire incertain où les éléments sémiologiques des deux visuels se rencontrent, s’effritent et se recomposent.
L’exposition tire son nom de ce principe, développé dans l’ouvrage Comma (voir menu « les concepts », commande « livres »), qui se divise en deux volets.
Le premier présente les cadres théoriques utilisés dans les recherches plastiques de l’auteur. Deux notions y dominent :
– Comma, donc, cette image en devenir, toujours entre deux mondes ;
– l’éloge de l’approximation, qui s’attarde sur les trous, les lacunes, les failles de la perception.
L’image n’est volontairement pas complète : elle laisse au spectateur le soin de la combler avec ses propres souvenirs, ses propres fantômes. Le jeu consiste alors à reconnaître, malgré l’approximation, le visage d’une célébrité. Le gagnant est celui qui reconstitue l’absence.

La seconde partie de l’ouvrage relève, elle, de la fiction – une fiction documentée, à la manière de Christian Boltanski ou d’Agnès Varda. Pierre Tomy Le Boucher y invente des récits qui accompagnent les visuels, non comme de simples illustrations, mais comme des contrepoints narratifs. La plupart de ces images ont été réalisées dans des églises : c’est l’occasion pour l’auteur de questionner la religion catholique et ses paradoxes.
Le texte cherche à toucher deux publics : les catholiques discordants et les athées lucides.
Les premiers vivent dans une contradiction permanente : ils se proclament croyants, assistent à la messe dominicale, puis passent la semaine à contredire ce qu’ils prétendent défendre. Leur morale varie selon leur position sociale, qu’ils souhaitent éminente et justifiant tout, jusqu’à leurs écarts. Le déni y dispute la première place à l’absurdité. Ils sont les plus fidèles et les moins croyants ; les plus nombreux aussi. Leur pratique religieuse relève d’un automatisme : un rite, une routine, jamais une réflexion. Leur bonté est démonstrative ; leur mesquinerie, régulière.

Leur parcours — baptême, catéchisme, communions diverses, messe répétitive — constitue moins un chemin spirituel qu’un dossier administratif validé à intervalles réguliers. Commenter le sermon du curé ? Très peu pour eux : ils ont fait leur devoir, exactement leur devoir, jamais plus.

Face à eux, on trouve les catholiques de naissance, baptisés comme on signe une assurance-vie, pour éviter des limbes incertains. Ils ne pratiquent pas, ne croient pas vraiment, mais admettent qu’une puissance supérieure existe peut-être — par prudence plus que par conviction.
Et puis il y a les athées instruits, que l’auteur respecte profondément : leur incrédulité se nourrit de lectures, de discussions, d’une cohérence assumée.

Dans sa vie professionnelle — communicant, enseignant, formateur — comme dans sa vie intime — père, époux — Pierre Tomy Le Boucher a toujours privilégié l’allégorie pour expliquer ce qui résiste à l’évidence. Ici, deux enfants, Martial et Jérôme, deviennent ses passeurs pédagogiques. Par la naïveté de Jérôme, il répond aux questions que se posent les adultes.

Lors de cette écriture, il a pensé à son ami Michel S., athée déterminé, toujours prêt à débattre avec un prêtre en s’appuyant sur un arsenal d’arguments implacables. Pour vérifier la sincérité de cette position, Pierre Tomy Le Boucher lui a proposé d’acheter son âme pour un euro symbolique. Michel S. a accepté. L’auteur possède désormais un titre de propriété certifiant l’authenticité d’une incrédulité parfaitement assumée.
D’autres athées, pourtant grands parleurs, n’ont jamais consenti à céder leur âme à Pierre Tomy Le Boucher.

Que Dieu pardonne cette expérience.